Suite française
Printemps 1940. La France est envahie et vaincue par l'armée allemande. Au-delà des événements militaires, c'est le quotidien des Français qui se trouve bousculé. S'inspirant de ses souvenirs personnels, Irène Némirovsky propose une vision romancée de cette période trouble. Le roman est organisé en deux parties, relativement indépendantes l'une de l'autre. La première, intitulée "Tempête en juin", brosse le tableau de l'exode des populations parisiennes en proie à la peur des bombardements allemands. L'auteur décline les préparatifs, les sentiments et les mésaventures des Parisiens selon plusieurs points de vue. On suit ainsi une famille bourgeoise, les Perricand, où la mère embarque pour une demeure méridionale, en compagnie de ses enfants, du chat et du beau-père, acariâtre mais riche à millions. La bonne volonté, mâtinée d'une forte religiosité, de cette mère est confrontée aux difficultés à trouver gîte et nourriture, mais aussi aux sentiments patriotiques de son adolescent de fils qui ne cherche qu'à en découdre avec l'ennemi. Il y a aussi les Michaud : d'un côté, les parents, employés de banque, abandonnés sur le pavé parisien au profit de la maîtresse du directeur, et de l'autre le fils, blessé au combat et recueilli par une famille du Morvan. Puis viennent ceux qui pensent que l'argent ouvre toutes les portes, et qui découvrent qu'en période de débandade générale ils sont confrontés aux mêmes déconvenues que leurs humbles semblables. Les portraits de Charlie Langelet, le collectionneur passionné de porcelaines, et de Gabriel Corte, écrivain persuadé d'être un génie au-dessus de toutes lois humaines, sont sans doute les plus savoureux.
Quand enfin l'exode reflue, une fois la défaite consommée, vient l'Occupation. Elle occupe la seconde partie du roman, sous le titre de "Dolce". Oubliés Paris et ses citadins en goguette, c'est désormais le village de Bussy, au cœur du Morvan, qui tient la vedette. L'auteur s'efforce de décrire avec justesse les sentiments ambivalents que suscite la présence de l'occupant allemand. Et là encore, le lecteur suit le quotidien de différentes familles, des Labarie, les paysans, aux nobles, avec Mme de Montfort, en passant par les notables Angellier. De l'arrivée des troupes, qui s'installent chez l'habitant, à leur départ pour le front russe, c'est un formidable tableau de l'ambiguïté de cette période qui est dressé. Irène Némirovsky décrit avec une grande finesse la méfiance, voire la haine, suscitées par l'arrivée de l'occupant. Vient ensuite l'étape de l'apprivoisement réciproque, où l'humanité reprend le dessus, où les antagonismes guerriers sont mis de côté pour la découverte de l'autre, de sa culture. Parfois l'amour se fraie un chemin. L'hostilité, cependant, finit par triompher après un drame qui secoue la petite communauté. Ce sont les évolutions de la nature, décrites avec talent, qui décomptent le temps qui passe au rythme des saisons.
Suite française est un roman enchanteur, qui donne à voir une époque noire sous un angle intimiste. Le propos sonne toujours juste, servi par l'usage des petits détails qui rendent quasi palpable une réalité pourtant distante. On se laisse séduire aussi par la plume d'Irène Némirovsky, tellement agréable qu'on se surprend à relire un paragraphe magnifiquement troussé. Cette lecture fut un tel plaisir, qu'il est plus que probable que la toute fraîche réédition du premier roman de l'auteur, Le malentendu, ne vienne bientôt s'ajouter à la bibliothèque de mrs pepys.
Suite française, Irène Némirovsky, 2004.