Le livre de Joe
Quand un appel téléphonique lui annonce nuitamment que son père est plongé dans le coma, Joe Goffman n'est guère enthousiaste à l'idée de se rendre dans la ville de son enfance, Bush Falls. Il l'a quittée dix-sept ans auparavant et a néanmoins réussi à s'attirer les foudres de sa population en publiant un roman – intitulé Bush Falls - largement inspiré des figures locales et de faits réels. Ce retour aux sources renvoie Joe à une réalité qu'il s'est efforcé de reléguer aux tréfonds de sa mémoire, mais il le confronte aussi à ses démons personnels, tout en lui rendant une inspiration qui l'avait déserté.
Le livre de Joe, c'est à la fois le brûlot largement autobiographique du héros et le roman de Jonathan Tropper qui raconte comment Joe Goffman, riche auteur à succès, réussit, dix-sept ans après, à faire le point sur une jeunesse peu glorieuse. Le texte lui-même mêle les deux niveaux de lecture, puisque sont intercalés, dans le récit au présent, des chapitres extraits du best-seller du héros, mis en exergue par l'emploi d'une police différente.
A priori, Le livre de Joe est un roman peu original. Il met en scène un trentenaire qui a réussi et qui doit renouer avec les lieux d'une jeunesse qu'il n'a eu de cesse d'oublier. Le cadre est on ne peut plus convenu : une petite ville du Connecticut, avec ses banlieues résidentielles, son lycée, ses souffre-douleur, ses héros locaux, surtout sportifs – en l'occurrence, les membres, actifs et vétérans, de l'équipe de basket-ball. Certaines scènes frisent la caricature. Il y a là, pour le lecteur, un air de déjà-vu – dans des films, des séries télévisées, ou d'autres romans. Et pourtant, cela fonctionne. Au-delà de la description du petit monde étouffant de Bush Falls, on s'accroche au personnage principal. L'alternance des récits du passé et du présent permet de mieux comprendre ses réticences. Les obstacles qu'il rencontre à son arrivée dans une ville où sa tête est quasiment mise à prix, dans une famille qu'il connaît à peine, mettent en branle une évolution sensible chez Joe. On le sent grandir, vieillir, s'assagir, devenir enfin adulte. Autour de lui, certains personnages secondaires possèdent une vitalité qui insuffle le dynamisme nécessaire au roman. Wayne, homosexuel sidaique en phase terminale, joue les mouches du coche pour réveiller son ancien camarade. Jared renvoie son oncle Joe à sa propre jeunesse en l'entraînant dans des parties de paint-ball. Et n'oublions pas Owen, l'agent littéraire qui n'a pas sa langue dans sa poche. On passe un bon moment, plongé dans cet univers américain, aux côtés d'un héros peu glorieux mais fort attachant.
Merci à Théoma, qui a judicieusement glissé Le livre de Joe dans le swap Happy Face qu'elle avait concocté.
Le livre de Joe, Jonathan Tropper, 2004.