La Reine et la Favorite

Dans la France d'Ancien Régime, les femmes ne peuvent participer officiellement au pouvoir. Pour rendre hommage à la gent féminine et à ses actions discrètes auprès des puissants, Simone Bertière a réalisé une série de biographies couvrant les XVIe, XVIIe et XVIIIe siècles. Dans le volume qui nous intéresse, c'est aux femmes du roi Louis XV qu'elle se consacre. Au cœur du propos, la reine, Marie Leszczinska, et la maîtresse principale du roi, Jeanne-Antoinette Poisson, marquise de Pompadour. Mais l'entourage féminin de Louis XV ne se limite pas à ces deux dames. Il faut compter aussi avec celle qui l'éleva – "Maman Ventadour" –, ainsi qu'avec les huit filles qui naquirent de l'union royale, les dauphines et les nombreuses petites maîtresses du Parc aux Cerfs. Si Louis XV a été privé de sa mère dans sa plus tendre enfance, sa vie d'adulte fait une large place aux femmes.
L'auteur s'efforce de dresser le portrait, tant moral que physique – renforcé par un encart de reproductions de tableaux qui nous les donne à voir – de toutes ces dames. Ce faisant, elle propose une lecture du règne de Louis XV (1715-1774) à la lumière de ses relations avec ses femmes. Il s'agit donc d'un ouvrage proprement historique, où Simone Bertière s'appuie sur les faits et uniquement les faits, refusant de donner dans le psychologisme ou le romanesque. Elle cite amplement ses sources, essentiellement les correspondances conservées dans les archives (celle, par exemple, de la Reine avec son père, Stanislas, roi déchu de Pologne, à qui son gendre confie le duché de Lorraine) ou les Mémoires rédigés par les grands de l'époque, comme le cardinal Bernis ou le duc de Choiseul, sans oublier le duc de saint-Simon pour le début de la période. Elle adopte un style simple, fluide et léger, loin de l'aridité de certains ouvrages historiques.
Il faut cependant aimer l'histoire pour se plonger dans ces quelque six cents pages. Point d'envolées lyriques comme on peut en trouver dans les biographies de Zweig, point de romance à tout crin. Il s'agit plutôt de mesurer à quel point les femmes ont pesé sur les décisions politiques de Louis XV. On s'intéresse ainsi aux épousailles royales, mais toujours dans la perspective des alliances qui en découlent. L'auteur se pose certes la question de l'amour dans ces mariages imposés, mais elle revient toujours au fondement de ces unions, à savoir leur utilité pour la monarchie française. Elle ne ménage pas sa peine pour offrir des descriptions précises des cérémonies, mais insiste encore davantage sur les tractations qui les ont précédées. On découvre avec plaisir, au détour de certains chapitres, que Madame de Pompadour a joué un rôle clé dans le domaine artistique, en encourageant par exemple le développement de la manufacture de Sèvres. On est moins trasnporté par les guerres, dans lesquelles les dames s'immiscent parfois pour défendre leurs amis ou parents.
Le contexte du règne, dépeint avec simplicité et précision, enthousiasmera les passionnés d'histoire. Ils peuvent apprécier les mises au point synthétiques, comme celle qui est consacrée au jansénisme. Ils découvrent la vie quotidienne sous les ors de Versailles, et la manière dont Louis XV l'a infléchie en laissant une plus grande place à la vie privée de la famille royale. Le récit par le menu de certaines campagnes polonaise ou autrichienne risque de ne séduire toutefois que les plus acharnés.
Il s'agit donc là d'une lecture plaisante pour qui se pique d'avoir quelques connaissances en histoire moderne. Il est à craindre qu'elle ne rebute un lecteur cherchant une approche romanesque. La Reine et la Favorite est donc un ouvrage à rapprocher de "l'histoire du genre", qui s'efforce de valoriser la place des femmes dans la grande histoire.
La Reine et la Favorite, Simone Bertière, 2000.