La cote 400
En arrivant un matin, une bibliothécaire découvre un lecteur qui s'est malencontreusement fait enfermer la veille au soir. Comme elle veut éviter qu'il ne se fasse remarquer, elle lui demande d'attendre l'ouverture de la bibliothèque pour quitter les lieux. Pendant ces longues minutes qui le séparent de sa libération, le lecteur subit la conversation, ou plus exactement le long monologue de la bibliothécaire. Cette femme d'âge mûr profite d'avoir un public attentif pour s'épancher, rouspéter, livrer son opinion à propos de sujets très variés, depuis la gestion de la bibliothèque aux relations amoureuses, en passant par la vie dans les villes de province ou les politiques du ministère de la Culture. Glissant d'un sujet à l'autre, elle fait preuve d'une grande perspicacité tout en se révélant légèrement névrosée sur les bords.
Certains pourront voir dans ce court roman une caricature de bibliothécaire, mais le personnage central, quoiqu'un peu aigri, est touchant, et si critique des employés de bibliothèque il y a, elle se trouve plus sûrement dans ses collègues du rez-de-chaussée. Le discours de l'héroïne est touchant, souvent plein de bon sens et plutôt drôle. Présenté à la première personne, avec quelques incises destinées à faire connaître les réactions de son interlocuteur, il s'apparente à une confession. C'est un trop-plein d'idées, d'envies, de sentiments qui déborde. Son exaspération à voir la cote 400 vidée de son contenu est un prétexte à un rapide exposé de bibliothéconomie, mâtiné d'une histoire des bibliothèques en France. Ce qui ressort le plus, c'est son amour des livres et sa volonté de les partager avec les lecteurs. Elle assène quelques vérités qui mériteraient d'être entendues, en particulier sur l'accueil des groupes d'enfants ou d'adolescents, qu'il s'agit d'apprivoiser au lieu de les décourager de remettre les pieds dans une bibliothèque. La politique d'acquisition, où l'entrée en bibliothèque demeure une récompense pour un ouvrage de qualité, n'est pas inintéressante. Son questionnement sur la place des autres supports que les livres dans une médiathèque peut faire se soulever quelques sourcils, mais n'en demeure pas moins réel. Le regard que porte cette femme sur la société est acéré, parfois teinté d'une moquerie bien sentie. On lit avec tristesse l'arrivée des lecteurs hivernaux, qui viennent se réchauffer plus que lire. On partage le dépit de l'héroïne devant le choix fait par certaines municipalités de fermer les bibliothèques pendant le mois d'août, laissant désemparés les lecteurs privés de vacances, personnes âgées en priorité.
Pour terminer ce billet, bien trop long au vu de la concision du roman, un petit extrait qui m'a fait sourire : "(…) je ne suis pas du style, moi, à me promener munie d'un défonceur d'oreilles qui vous bombarde de la musique morte directement dans le cerveau. Ce n'est pas ma tasse de thé. Pas du tout. Dans le bus, je les vois tous ces zombis. L'un branché sur son Hipaude, l'autre sur son portable, l'autre à tapoter sur son clavier. Pas un seul de ces avachis pour lire dans le bus, jamais. Ce serait trop d'effort. Et vous voulez ensuite qu'ils viennent s'instruire dans nos rayons ? Non, mais regardez-les, ces débranchés du bulbe, c'est impossible, impossible."
Un premier roman diablement séduisant. On attend le prochain.
La cote 400, Sophie Divry, 2010.