Geisha
Qu'un écrivain américain se penche sur un sujet aussi exigeant que le monde des geishas est étonnant. Qu'il le fasse avec autant de talent l'est encore plus.
Présenté sous la forme de mémoires (d'où le titre original, Memoirs of a Geisha), le roman raconte la carrière d'une geisha, Sayuri, dans l'entre-deux-guerres. Vendue par son père alors qu'elle n'est qu'une enfant, elle subit une initiation difficile, qui fait d'elle une des geishas les plus convoitées de Kyoto. Le lecteur découvre avec elle les multiples aspects d'une profession souvent présentée avec mépris. Il la suit dans son apprentissage de la musique et de la danse, qui font des geishas des artistes. Il s'ouvre aux secrets de la cérémonie du thé, mais aussi des douleurs endurées par ces femmes toujours coiffées et vêtues à la perfection. Il devient le témoin de tractations financières réduisant les geishas au rang d'objets, quoique de grande valeur. Et ce faisant, il se prend d'affection pour le merveilleux personnage qu'est Sayuri. Il vibre de colère lorsque sa rivale, Hatsumomo, s'efforce de lui faire du tort. Il s'enthousiasme de ses succès, et plus encore lorsqu'elle est sur le point de rencontrer l'amour.
Arthur Golden est parvenu à nouer une intrigue passionnante, qui pousse à dévorer plus qu'à lire les quelque six cents pages du roman. Il sait alterner habilement les aspects purement romanesques avec les descriptions quasi historiennes ou ethnologiques. Se laissant emporter par les péripéties de la vie de Sayuri, le lecteur apprécie également le versant documentaire de l'œuvre. C'est une description scrupuleuse et criante de vérité qui est proposée. Le quartier de Gion, à Kyoto, au cœur des années 1930 et 1940, semble plus vrai que nature. Un voyage dans le temps et dans un cadre d'un exotisme troublant. L'ensemble du récit est porté par une écriture fluide et agréable, qui sait ménager des passages poétiques comme en ont le secret les romans japonais. L'emploi des périphrases pour désigner les réalités triviales du commerce des geishas rend notamment compte de la dualité de cette profession, où le raffinement le dispute souvent à la brutalité du plus vieux métier du monde.
Cette lecture, faite dans le cadre du Challenge Livraddict, fut enivrante. Je suis curieuse de voir comment il a été possible de l'adapter pour le grand écran, et si les yeux gris de Sayuri ont l'effet hypnotique que le roman leur prête.
Geisha, Arthur Golden, 1997.