Berthe Morisot, Le secret de la femme en noir
S'il est une peinture qui séduit aujourd'hui le public, c'est bien celle des impressionnistes. En témoignent le succès de l'exposition Monet proposée au Grand Palais en 2011, ou les foules qui, chaque année, parcourent le Musée d'Orsay. Aux côtés des Monet, Renoir, Degas et autres Manet se tient dans l'ombre une femme souvent méconnue, Berthe Morisot. Il faut avouer que je n'étais guère au point sur la biographie et l'œuvre de la dame il y a quelques semaines encore. Un complot du destin a fort heureusement remédié à cela. Tout commence par le choix opportun fait par Gwennaig, qui m'a offert la très belle biographie écrite par Dominique Bona. Puis est venue la préparation d'une épreuve professionnelle en Histoire de l'Art, qui a contribué à approfondir mes connaissances sur la peinture de la fin du XIXe siècle. Et enfin, telle une apothéose, s'impose l'exposition que consacre le Musée Marmottan à Berthe Morisot.
Bien loin de la vie de bohème que l'on pourrait lui imaginer, cette femme est parvenue à faire cohabiter les exigences de son milieu social et sa carrière de peintre. Berthe Morisot est issue d'une famille bourgeoise, où elle acquiert aussi bien des valeurs un tantinet rigides qu'une solide éducation artistique. La peinture la passionne tant qu'elle refuse de la sacrifier, comme le fait sa sœur, sur l'autel du mariage. Son talent et sa curiosité lui permettent de fréquenter ces peintres qui affolent la critique. Elle devient l'amie et le modèle d'Edouard Manet (dont elle finit par épouser le frère, Eugène), reçoit Degas, Pissaro, Renoir, Monet et Mallarmé. Elle affirme un style qui lui est propre, tout en finesse, influencé par la pratique de l'aquarelle, flirtant souvent avec l'abstraction. Elle se plaît à peindre des paysages en plein air, comme ses confrères impressionnistes. Mais ce qu'elle aime par-dessus tout, c'est faire poser ses proches, ses sœurs d'abord, puis sa fille, Julie, surtout.
Avec un style simple et subtil, Dominique Bona s'attache à faire découvrir la femme et son œuvre, aussi bien que le monde artistique dans lequel elle baigne. La minutie des recherches alimente le propos, où affluent moult détails et anecdotes. Le récit insiste sur la singularité du destin de Berthe Morisot, s'interroge sur ses pans d'ombre (la destruction des toiles de jeunesse, le doute permanent qui tiraille une artiste perfectionniste…). Non seulement on apprend à mieux connaître l'héroïne de cette biographie, mais on s'immerge dans le Paris de la fin du XIXe siècle. La place des femmes dans la société, les querelles artistiques autour des Salons, les ravages de la guerre de 1870 et le siège de Paris par les Prussiens remettent en perspective le parcours de Berthe Morisot, les choix qui furent les siens. Ainsi l'exposition du Musée Marmottan prend tout son sens à la lumière de ce texte, qui livre les clés nécessaires à la lecture des nombreux tableaux proposés. Il est certes possible de profiter de l'exposition sans avoir lu l'ouvrage de Dominique Bona, mais il révèle des informations qui mettent en valeur certaines œuvres, leur confèrent une profondeur qu'elles n'ont pas à première vue.
La plume de l'auteur m'a à ce point enthousiasmée que je me suis procurée son nouvel ouvrage, Deux sœurs, Yvonne et Christine Rouart, Les muses de l'impressionnisme, dont Grillon parle si bien. Et une seconde visite au Musée Marmottan n'est pas improbable…
Berthe Morisot, Le secret de la femme en noir, Dominique Bona, 2000.