Le Prince des Marées
Etre membre de la famille Wingo n'est pas exactement une sinécure. Tom en sait quelque chose. En raison d'une dépression fort mal à propos, il a perdu son emploi de professeur et de coach et n'est pas loin de perdre aussi l'affection de son épouse qui lui préfère un amant. Ses filles trouvent étrange qu'il reste à la maison et se charge des tâches domestiques quand leur mère va travailler. Il est loin de l'image du père tel qu'on se le représente en Caroline du Sud. Lorsque sa mère, avec laquelle il entretient des relations particulièrement houleuses, l'avertit que sa sœur jumelle, Savannah, a tenté, une nouvelle fois, de mettre fin à ses jours, Tom fait sa valise et lui rend visite à New York. L'état de la jeune femme est si alarmant que son psychiatre, Susan Lowenstein, demande à Tom de lui raconter leur jeunesse afin de déchiffrer les litanies qu'elle livre depuis son lit d'hôpital. Dans le récit alternent dès lors l'évocation des souvenirs de Tom et ses expériences new-yorkaises du moment.
Une saga, ainsi est présenté ce roman en quatrième de couverture. Et tel est-il, mettant en scène une famille haute en couleurs, où chacun des personnages semble s'escrimer à sortir du rang. De la naissance des jumeaux, personnages centraux, à cet été où leur vie bascule après la tentative de suicide de Savannah, rien n'est épargné au lecteur. Le grand-père, qui s'entête à porter la croix chaque vendredi saint, comme la grand-mère aux mœurs plutôt libres n'ont rien à envier au père, crevettier toujours à la recherche du "bon coup" destiné à l'enrichir, ni à la mère dont l'ambition démesurée est cause de biens des maux familiaux. Les enfants (Tom et Savannah, ainsi que leur aîné, Luke), ballottés dans cette famille hors norme, ont quelques difficultés à trouver leur place. Cette galerie de portraits, à force de vouloir être pittoresque, devient néanmoins caricaturale. Même pour les personnages secondaires (l'époux du docteur Lowenstein en particulier) le trait semble forcé. Au lieu de les rendre attachants, tous finissent par être agaçants. Les péripéties s'enchaînent, voire s'accumulent – d'où un roman qui frôle les mille pages en format poche. Les multiples rebondissements de l'intrigue attisent dans un premier temps la curiosité du lecteur, le tiennent en haleine, pendant la première moitié du roman. Et puis le rythme s'accélère, et la vraisemblance est écornée. La fameuse "journée sur l'île", que l'on nous fait miroiter longtemps avant d'en faire le récit, puis les aventures de Luke dans une Colleton abandonnée viennent à bout de la patience du lecteur. L'auteur cherche à aborder des thèmes de prime abord intéressants, comme la scolarisation des élèves noirs dans les Etats du Sud, l'antagonisme entre Sudistes et habitants des Etats du Nord, le poids du souvenir, les violences conjugales, les hiérarchies sociales dans les petites villes américaines, mais il ne parvient pas à éviter les clichés.
Cette lecture ne m'a donc pas vraiment enthousiasmée, mais j'ai résisté à l'envie de l'abandonner quand l'agacement a pointé. Il ne s'agit pas d'un mauvais roman, car il se lit avec facilité, fait parfois sourire. Mais il suscite une forme d'écœurement, comme ces pâtisseries à la crème bien trop riches. Les légendes familiales sont passionnantes à condition qu'elles ne soient pas démesurées. Les personnages atypiques sont sympathiques s'ils ne sont pas caricaturaux. Et, à mes yeux, l'auteur n'a pas réussi à échapper à ces écueils.
Qu'ont pensé les autres participantes de cette lecture commune ? George, Anne, Mimipison, Syl., Frankie, et Vilvirt.
Le Prince des Marées, Pat Conroy, 1986.