Le Libraire
C'est une histoire d'amour que propose ici Regis de Sá Moreira. Celle d'un homme que ses aventures avec trois femmes successives ont conduit à se consacrer exclusivement aux livres, qu'il lit puis vend – ou donne parfois. Le lecteur suit le libraire, dont le nom restera inconnu, tout au long d'une journée. C'est l'occasion de présenter les lubies de cet homme qui ne franchit plus le seuil de sa boutique, mais aussi les clients auxquels il a affaire.
Le ton du récit est léger, et l'on se prend bien souvent à sourire à la lecture des réactions du libraire face aux demandes qui lui sont faites. On se creuse les méninges avec lui quant aux titres des trois ouvrages que l'on emporterait sur une île déserte. On se réjouit de le voir chasser avec perte et fracas ceux qui viennent acheter "de la merde" : "les gens mécontents n'avaient qu'à se rendre dans l'une ou l'autre des nombreuses librairies de la ville (…) pour s'acheter leurs merdes, le libraire ne voyait pas pourquoi ce serait à lui de le faire". De chapitre en chapitre, on attend le poudoupoudoupoudou de la porte d'entrée et on se demande quel portrait de client va suivre. Pour un peu, on irait faire bouillir de l'eau pour se préparer une tisane à l'unisson avec le libraire.
Derrière la légèreté du propos se dissimule cependant une réflexion sur la place du livre, sur son statut (objet ou contenu ?), sur le rapport qu'un libraire peut avoir avec les clients, et aussi sur la solitude. Si les anecdotes dont déborde cet ouvrage ne manquent pas de réalisme, l'univers du libraire offre un aspect hors du temps, un peu magique. Le lecteur flotte entre deux mondes, porté par une écriture qui ne manque pas de poésie. La critique de cet ouvrage par Télérama faisait référence au film Amélie Poulain, et la comparaison est intéressante car on retrouve en effet une réalité décalée et des personnages hauts en couleurs dans Le Libraire. Il s'agit donc d'une lecture agréable et reposante, qui risque de changer le regard que chacun porte sur son libraire favori.
Le Libraire, Regis de Sá Moreira, 2004.